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Le petit casque rond rouge

Il était une fois une jeune fille fort jolie et toute menue qui s’appelait Myrtille. Elle roulait en scooter rouge. Quand elle prenait son scooter, Myrtille enfilait invariablement un blouson rouge et un curieux petit casque tout rond et tout rouge. Ce qui fait que, sans originalité aucune, on avait pris l’habitude de la surnommer le petit casque rond rouge.

Un jour, Myrtille qui raffolait des petits beurres décida d’aller en acheter un paquet à l’endroit où l’on trouvait les meilleurs. C’était chez la mère Grand qui tenait un café-restaurant-épicerie à sept lieues du village, au bord de la belle route qui mène au bois Dormant. Myrtille enfourcha donc son scooter et partit le nez au vent. Chemin faisant elle admirait les champs piquetés de fleurs multicolores en ces premiers jours du printemps. Si bien qu’elle finit par s’arrêter avec l’idée de cueillir un beau bouquet de coquelicots, de marguerites et de bleuets qu’elle pensait offrir à son amie Sandy Rillon. Sandy était serveuse chez la mère Grand.

Or, il y avait dans ce village un fort mauvais garçon qui s’appelait Jean-Loup Leblanc. Il était connu comme le mouton noir. Du matin au soir, Jean-Loup portait des culottes, des bottes de moto, un blouson de cuir noir avec un aigle sur le dos et chevauchait une puissante Hondasaki avec laquelle il arpentait la contrée, toujours en quête de vilains coups et de chair fraîche.

Myrtille s’était assise au bord d’un talus pour confectionner son joli bouquet lorsque Jean-Loup Leblanc qui passait justement par-là l’aperçut. Il freina brusquement et arriva derrière elle avec son gros engin.

- Eh, bonjour jeune demoiselle, lança-t-il. Que vous êtes jolie, que vous me semblez belle. Sans mentir, si vous avez envie de venir faire un petit tour avec moi dans le bois, je me ferai un plaisir de vous faire découvrir une clairière où l’on trouve des fleurs à nulles autres pareilles.

Myrtille n’était pas d’humeur.

- Tire-toi sur ta mobylette sinon gare à ta chevillette, répliqua-t-elle en lui balançant un grand coup de pied dans les tibias.

L’affaire était mal engagée. Malgré son air fluet, Myrtille était dotée d’un caractère bien trempé, conforté par plusieurs années de pratique du judo. Jean-Loup connaissait sa réputation. Il n’insista pas. Fort dépité, il décida d’aller tenter sa chance auprès de Sandy Rillon, la serveuse de la mère Grand.

Malheureusement, quand il arriva au café-restaurant-épicerie, il tomba sur la mère Grand elle-même qui revenait de se baigner dans la rivière voisine avant d’ouvrir sa boutique.

- Qu’est-ce que tu viens faire ici, Vaurien, l’interpella-t-elle, peu amène.

- C’est que…, j’aurais voulu voir Sandy, balbutia Jean-Loup.

- Sandy ? Rien du tout ! elle est pas là et de toute façon, Sandy, elle reçoit pas sur son lieu de travail et surtout pas un voyou de ton espèce. Fiche-moi le camp et plus vite que ça.

Malgré son âge un peu avancé, la mère Grand avait encore de forts beaux restes. Ils ravivèrent d’autant plus la frustration de Jean-Loup qu’elle était toujours en maillot de bain. Faute de grive, on mange des merles pensa-t-il.

Il afficha un sourire enjôleur et s’approcha.

- Pourrions-nous au moins entrer quelques instants pour parler un peu. Vous êtes encore toute humide. Laissez-moi finir de vous sécher dit-il en tentant de se saisir du drap de bain.

- Bas les pattes galopin ! s’énerva la mère Grand. Grimpe en vitesse sur ton gros cube et va voir chez ta sœur si j’y suis, sinon il va t’en cuire.

Jean-Loup commit alors une très grave erreur. Il insista lourdement et tenta même de culbuter la mère Grand sur une des tables de la terrasse. Celle-ci saisit la première chose qui lui tomba sous la main. C’était une bouteille de la piquette qu’elle servait d’ordinaire aux clients. Elle l’abattit d’un geste ferme mais non dénué d’une certaine grâce sur l’occiput de Jean-Loup.

Finalement, sans que l’on sache pourquoi, Myrtille décida de remettre au lendemain sa visite chez la mère Grand. Quand elle arriva, elle jeta un coup d’œil au menu du jour. On y proposait des tripes, de la cervelle, du foie et des rognons. Elle trouva la mère Grand affairée dans sa cuisine.

J’ai eu une livraison plus importante que prévue, expliqua celle-ci. Aussi pour ne rien perdre, je me dépêche de préparer des conserves. Je les mettrai en vente à l’épicerie dès demain. Avec un grand rire d’ogresse, elle désigna les bocaux remplis de viande alignés sur l’étagère.

- Dans le cochon tout est bon.

 

Philippe GÉRARD

 

Tag(s) : #Nouvelles histoires courtes
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