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Comité céleste

 

Dieu jeta un regard circulaire sur les participants réunis sous l'immense voûte céleste. Il fronça les sourcils et se tourna vers Jésus, assis à sa droite.

- Encore une fois saint Pierre est en retard, dit-il avec une feinte colère.

 

Il n'était pas vraiment fâché et pardonnait beaucoup au premier des apôtres. D'abord parce qu'il était Dieu mais surtout parce qu'il avait toujours eu une tendresse particulière pour ce pêcheur un peu bourru mais si humain. Curieusement, il avait toujours eu l'impression qu'ils étaient un peu de la même génération.

 

A ce moment on entendit un tintement de clés dans le couloir. saint Pierre, rouge de confusion, se dépêcha de s'installer à la place qui lui était dévolue, à la droite de Jésus.

- Pardonnez-moi Seigneur, commença-t-il, mais…

Dieu l'interrompit d'un geste amical et s'éclaircit la voix.

- Bien, je crois que nous allons pouvoir commencer, dit-il. Tout le monde a bien reçu l'ordre du jour ?

 

Nombre de paires d'yeux se perdirent évasivement dans les limbes.

 

Le ton de Dieu se fit plus solennel.

- Si j'ai réuni en séance extraordinaire ce comité directeur restreint, c'est dans le seul but d'établir une fois pour toutes la liste officielle des péchés capitaux. Le pape ne cesse de me relancer à ce sujet. Nous devons aboutir à une synthèse qui servira de référentiel pour toutes les générations futures jusqu'à la fin des siècles des siècles. Amen.

 

Il marqua un temps d'arrêt et contempla l'assemblée. Il avait volontairement limité le nombre des participants à l'élite de ses collaborateurs. Il n'en pouvait plus de ces immenses conclaves qui duraient une éternité et dont il ne sortait jamais rien de concret.

 

Pour régler rapidement et définitivement cette question fondamentale, il avait donc convoqué ses trois archanges de confiance : Michel, le chef de la milice céleste, Raphaël qui avait un esprit ouvert et un très bon caractère - il ne disait jamais rien - et Gabriel qui s'occupait des questions de communication. Jésus faisait une question de principe de la présence des quatre évangélistes. Matthieu, Marc, Luc et Jean siégeaient donc avec lui. Saint-Pierre représentait naturellement tous ses successeurs de papes. Le Saint-Esprit participait évidemment à la séance. Comme toujours, il ne tenait pas en place et papillonnait de l'un à l'autre. Mais personne n'y faisait plus attention.

- Avez-vous des questions avant que nous définissions notre méthode de Travail ? interrogea Dieu.

 

L'archange Gabriel leva la main. Dieu se retint de lever les yeux au ciel. Gabriel, qui se croyait sorti de la cuisse de Jupiter, avait toujours des questions préliminaires surtout destinées à le faire mousser.

 

L'archange se leva et déploya ses grandes ailes blanches.

- Si vous me permettez, Seigneur, je suis quand même un peu surpris que, pour traiter d'un tel sujet, vous n'ayez pas fait appel à l'expertise incontestée de Lucifer. C'est quand même un domaine qu'il connaît particulièrement bien.

 

Un murmure d'approbation courut autour de la table. Quand le Diable participait aux réunions l'ambiance était toujours nettement plus amusante. D'habituellement assez soporifiques, les comités directeurs devenaient alors parfois franchement rigolos.

 

Dieu soupira. Il ne voyait pas quel argument opposer. Il était certain que la présence de Lucifer validerait la démarche.

- C'est bon, qu'on descende le chercher, lança-t-il au séraphin de service.

 

Ce n'était pas la porte à côté. Dieu cacha mal son agacement ; il allait sûrement falloir faire une interruption de séance.

- D'autres questions ? demanda-t-il histoire de meubler l'attente.

Le beau Matthieu demanda la parole. Dieu craignit le pire. L'évangéliste était toujours soucieux de plaire à son électorat qu'il croyait essentiellement féminin.

- Encore une fois, lança-t-il sur un ton légèrement agressif, nous nous proposons de débattre d'un sujet qui intéresse l'humanité tout entière sans que les femmes soient représentées au sein du comité directeur. C'est pourtant un thème qui les concerne au premier chef. La Vierge Marie ne pourrait-elle pas, à tout le moins, participer à nos travaux ?

Dieu se tourna vers Jésus.

- De grâce, laissons ta mère en dehors de tout ça. Elle ne connaît rien aux péchés !

- Peut-être Marie-Madeleine… hasarda Jésus.

- Va pour Marie-Madeleine, acquiesça Dieu en dissimulant mal un sourire légèrement égrillard. Je précise, ajouta-t-il pour sauver la face que les experts n'auront bien entendu qu'une voix consultative.

- La séance est suspendue, tonna-t-il. Elle reprendra à 14 heures précises. Heure de Paris, précisa-t-il à l'intention des archanges qui, avec tous leurs déplacements célestes, avaient tendance à mélanger les fuseaux horaires.

 

Il se détendit un peu en pensant avec gourmandise aux religieuses au chocolat qu'il avait commandées à son chef pâtissier pour le déjeuner.

 

¯

 

Dès 13h50 (heure de Paris), tout le monde avait repris place autour de la table de réunion.

 

Un froid glacial suivi d'un éclair et d'un souffle incandescent accompagna l'arrivée de Lucifer. Un ricanement ravageur au coin des lèvres, il s'installa avec une insolente nonchalance au bout de la table, face à Dieu. Il savourait l'instant.

 

Dieu lui souhaita la bienvenue du bout des lèvres. Jésus l'ignora. Les autres se réjouissaient secrètement du changement d'atmosphère, soudain chargée d'électricité. Marie-Madeleine le dévorait des yeux ; il était décidément très beau.

- Avant toute chose, qui se charge du compte rendu de séance ? commença Dieu.

 

Chacun manifesta immédiatement un intérêt immodéré pour ses notes, son agenda ou sa documentation.

- Bien ! dit Dieu avec un petit éclair de vengeance dans les yeux. Mon cher Gabriel, en tant que chargé de com., il me semble que cela te revient de droit. Pour en être familier, le ton de Dieu n'en était pas moins péremptoire. Le chef des archanges referma ses ailes et s'inclina.

- Ce point étant réglé, je propose, reprit Dieu, que nous adoptions une méthode simple. Nous allons établir une liste exhaustive de tous les péchés. Ensuite, nous les hiérarchiserons. Enfin, nous définirons, parmi les plus graves, ceux à qui nous attribuerons le label de « péché capital ». Cela ne devrait pas prendre des heures ajouta-t-il comme pour conjurer le mauvais sort.

 

Sans attendre qu'on la lui donne, Lucifer prit la parole.

- J'ai ici, dit-il avec un petit rire suffisant, un diaporama qui recense de façon exhaustive et illustrée l'ensemble des péchés mis à la disposition de l'humanité. Je pense que cela pourrait nous faire gagner du temps.

- Je m'élève formellement contre l'expression « mis à disposition » protesta le rigoureux saint Luc. Le péché est une offense…

- N'ergotons pas, n'ergotons pas, le coupa Dieu, éteignez la lumière[1] et voyons ce diaporama.

 

Au début, chacun prit grand plaisir à visionner les croustillantes illustrations que Lucifer détaillait complaisamment. Certaines images étaient même animées ce qui renforçait leur intérêt et, parfois, leur érotisme. Mais cela n'en finissait pas. Le Diable avait répertorié six-cent-soixante-six péchés. L'énumération risquait de durer cent sept ans. Saint-Pierre émettait un léger ronflement. À plusieurs reprises, Dieu lui-même avait senti une redoutable torpeur l'envahir. Il décida de brusquer les choses. Avec cet humour qui n'appartenait qu'à lui, il s'amusa à lancer sa célèbre injonction :

- Que la lumière soit !

- Ton diaporama est remarquable, Lucifer, dit-il pour le ménager. Il y a toutefois quelques redondances. Je pense que nous avons maintenant fait le tour de la question. Que chacun s'exprime et désigne les péchés qui, selon lui, méritent l'appellation capitale.

 

Gabriel, encore lui, prit la parole.

- Je crois que tout le monde sera d'accord pour reconnaître que l'orgueil est le plus grand des péchés. Le péché suprême.

 

Dieu tiqua un peu. Il n'ignorait pas que dans les allées du paradis on critiquait secrètement son ego un peu surdimensionné.

- Quelqu'un a peut-être une autre suggestion ? dit-il assez sèchement.

 

Chacun défendit son point de vue. Certains en tenaient pour la colère, d'autres pour l'avarice. D'aucuns estimaient que la paresse ou l'envie étaient des péchés qui surpassaient tous les autres. Il y avait ceux qui pensaient que l'intempérance et la gourmandise étaient un seul et même péché.

- Que serait un bon festin s'il n'était copieusement arrosé ? disaient-ils.

Marie-Madeleine soutint que, dans certains cas, la luxure pouvait être une qualité.

Il y avait ceux qui voulaient diviser chaque péché en sous-péchés et ceux qui voulaient tous les regrouper sous une seule entité. Les traditionalistes qui voulaient s'en tenir aux péchés classiques et les modernes qui voulaient introduire des notions telles que l'égoïsme, la cruauté, la lâcheté ou même le fanatisme. Bref, c'était la foire d'empoigne. On n'en sortait pas et Dieu s'arrachait ses beaux cheveux blancs en voyant l'heure tourner. Il fallait en finir.

- Maintenant que chacun s'est exprimé tout son saoul, dit-il, un peu hagard, nous allons procéder au vote.

 

Il se dirigea vers le paperboard et dessina un tableau à double entrée.

- En vertu des pouvoirs que je me suis conféré, déclara-t-il, je décide qu'il y aura sept péchés capitaux. Sept me paraît un bon chiffre. Chacun va me faire part de son choix je l'inscrirai au fur et à mesure. Et puis, à Dieu vat ! Que les meilleurs gagnent !

 

C'est ainsi qu'au cours d'une réunion de concertation diablement contradictoire et divinement démocratique, il fut décidé qu'il y aurait jusqu'à la fin des temps sept péchés capitaux : l'orgueil, l'avarice, l'envie, la colère, la luxure, la paresse et la gourmandise.

 

Le diable aurait bien aimé en rajouter trois ou quatre mais, par pure paresse, il finit par laisser tomber.

 

Mathieu tint absolument à faire préciser que chacun de ces péchés pouvaient être commis par des femmes.

 

Gabriel se chargea de diffuser l'information auprès des autorités ecclésiastiques compétentes. Il ne put s'empêcher de souligner avec orgueil son rôle prépondérant dans la procédure.

 

Philippe GÉRARD

 

[1] Sur la terre, les hommes furent extrêmement étonnés, ce jour-là, de cette éclipse de soleil qu'aucun astronome n'avait prévue et qui leur fit penser que la fin du monde était arrivée…

 

 

Tag(s) : #Nouvelles histoires saintes
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