Mariage princier

Dans ma jeunesse, je n'aimais pas les pauvres. Si l'on m'en avait demandé la raison, j'aurais probablement invoqué la tradition familiale. Notre grand-mère, Artémis de la Villetrémieux, les détestait. Heureusement elle ne risquait guère d'en rencontrer dans notre quartier. Quand, par extraordinaire, elle s'aventurait hors du triangle Neuilly, Auteuil, Passy, elle préférait changer de trottoir plutôt que de croiser le chemin d'un mendiant. Elle craignait la contagion. Malgré sa prudence, notre famille ne fut pas épargnée. Les causes de notre décadence furent la conséquence d'une part, de la passion dévorante de mon grand-père pour le jeu et d'autre part, de la joyeuse et parfaite incompétence de mon père en matière de gestion financière. Bref, lorsque j'abordai l'âge adulte mes parents avaient allègrement dilapidé ce qui restait de l'héritage familial et ne parvenaient plus guère à sauver les apparences. J'étais fils unique et plutôt bien fait de ma personne. Ma mère me prit à part. Elle souhaitait me faire rencontrer Félicité, la fille, également unique, d'un grand industriel qui avait fait fortune dans le chocolat. Certes, Félicité avait un physique passablement ingrat mais, m'assura ma mère, elle avait un cœur d'or. En outre, ajouta-t-elle, nous n'avions plus le choix et l'honneur de la famille reposait sur mes frêles épaules...

Cette nouvelle a été publiée aux éditions Édilivre sous le titre Instantanés

Le recueil est accessible à partir du lien suivant :

https://www.edilivre.com/instantanes-philippe-gerard.html

Bonne lecture.