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Nous étions deux amis...

Comment t’exprimer, mon Georges, mon ami, mon frère, tout ce que je ressens au moment où tu pars pour ce grand voyage. Mais tu as l’air serein et reposé. Cela me réconforte un peu.

Près d’un demi-siècle déjà depuis notre première rencontre à l’école primaire Jules Ferry ! Je nous revois comme si c’était hier avec nos culottes courtes et nos bérets basques. Séducteur déjà, dès ce premier jour tu t’étais distingué en apportant un bouquet de violettes pour la maîtresse. J’avais été ébahi par cette audace. Je crois bien que tu es devenu mon copain à cet instant.

À partir de ce moment on peut dire qu’on ne s’est plus guère quittés. Nous étions presque voisins à cette époque et chaque jour, nous parcourions ensemble les deux kilomètres qui nous séparaient de Jules Ferry. En courant quelquefois lorsque nous étions en retard. En papotant toujours. Enfin, le plus souvent c’était surtout toi qui parlais. Moi, j’étais plus réservé. Tu étais joyeux, curieux de tout. En classe tu étais brillant, presque toujours le premier. J’avais plus de mal et souvent tu m’aidais pour nos devoirs. En sport, en revanche, j’étais meilleur que toi. Je pense que tu te souviendras encore longtemps des ultimes kilomètres lors de notre première montée de l’Aubisque à vélo. Pas sûr que tu aurais terminé si je n’avais pas été là.

Nous étions inséparables. Dans la cour de récré, on nous appelait les Dupont. Après Jules Ferry nous avons réussi à nous faire envoyer tous les deux pensionnaires à Jean Jaurès. C’est peut-être là qu’on a tricoté nos meilleurs souvenirs, de ceux qui vous lient définitivement. On a tout partagé, le quotidien des cours, du réfectoire et de l’étude du soir, la bande de copains, les messes basses au dortoir et les batailles de polochons, de beaux chahuts et pas mal d’heures de colle. Je me rappelle aussi les randos en camping dans les Pyrénées et, l’été, les vacances au bord de la mer chez mes parents ou chez les tiens. Et puis, il y a eu les filles bien sûr. Pour toi, c’était facile, avec ta faconde et ton air de beau ténébreux elles ne demandaient qu’à se pendre à ton cou. Je peux bien te le dire aujourd’hui, je t’admirais. Tu te trouvais toujours au centre du groupe. Moi, j’étais timide. Tu faisais les travaux d’approche. Je suivais comme je pouvais dans ton sillage. Pourtant, contre toute attente, c’est de moi que Paulette est tombée amoureuse. J’en suis tombé à la renverse et elle est devenue illico mon grand, mon seul et unique amour.

On a eu notre bac en soixante-huit. Cette année-là, ce n’était pas un grand exploit ; on l’a donné à tout le monde. Riche période ; Les AG, les manifs mais surtout les soirées et les nuits après les AG et les manifs !...

Après le bac nos itinéraires ont divergé. Tu es resté séducteur et célibataire et tu es devenu professeur de littérature. Moi, j’ai repris le garage de mon père et j’ai épousé Paulette. Tu étais mon témoin à notre mariage et notre amitié est restée intacte. Pas une semaine sans que nous fassions une randonnée à vélo, que tu viennes dîner à la maison ou qu’on se fasse un ciné ou un restaurant tous ensemble. Bien sûr, c’est toi le parrain de mon aîné.

Comme tu vas me manquer ! Comment je vais faire sans toi ? Pourquoi tu m’as fait ça ? Tout à l’heure, c’est moi qui dois prononcer le discours d’adieu. Je voudrais tant essayer de traduire ce qu’a été notre amitié, ce que toutes ces années de partage ont représenté pour moi.

Quand tu m’as dit que tu allais à Saint-Lary, je savais que tu passerais par l’Aubisque. Pour le plaisir. Pour le souvenir. À force de l’avoir grimpé ensemble à vélo on peut dire qu’on en connaît chaque virage. En voiture, tu t’amuses toujours à les prendre à fond la caisse. À ce petit jeu, il vaut mieux d’ailleurs qu’elle soit en parfait état, la caisse. C’est pour ça que tu me l’as donnée à réviser la veille de ton départ. Parce que les lacets ils ne sont pas toujours si évidents à négocier. Et évidemment impossibles si tout à coup les freins te lâchent.

Ce qui me console c’est qu’au moins tu es parti dans notre montagne, là où nous avons vécu tant de si beaux moments. C’est un accident. L’enquête a conclu à une sortie de route résultant d’une vitesse excessive. Mais, vois-tu, Georges, mon ami, mon frère, Paulette, c’était sacré. Ça, vraiment, tu n’aurais pas dû.

 

Philippe GÉRARD

 

 

Tag(s) : #Nouvelles histoires courtes
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