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Enfermement

Il ne comprend pas.

Il ne sait pas pourquoi il est là.

Il ne sait pas depuis combien de temps.

Il ne sait rien.

C’est une petite cour carrée cernée de hauts, de très hauts murs de béton brut. Nue.

Tout en haut, très haut, une rangée de fenêtres étroites. Presque des meurtrières.

Sur trois côtés, d’immenses portes à double battant. Vertes avec de grandes taches de rouille inquiétantes. Des portes de fer, massives, barrées de puissants renforts soudés et munies de grosses poignées en bronze.

Dans un coin, un abri rudimentaire de tôle ondulée où il se réfugie en cas de pluie ou lorsque la chaleur étouffante est préférable à l’implacable brûlure du soleil pendant les deux heures de la journée où ses rayons giclent verticalement sur le sol blanc.

A côté, un mince filet d’eau coule en permanence et se perd derrière une grille métallique.

Pas de bruit autre qu’une vague rumeur venant se briser sur les murailles.

Deux fois par jour, au bout d’un long filin d’acier, un sac de toile s’échappe d’une des fenêtres, tout là-haut. Du pain, un morceau de fromage, une tranche de viande. Tous les matins. Tous les soirs.

Il n’aperçoit jamais personne à ces fenêtres. Seulement le sac de toile qui surgit le matin et le soir.

Pourtant, il sait qu’il est observé, que des yeux anonymes épient chacun de ses gestes.

Au début, il a essayé de comprendre, de se souvenir, d’imaginer la vie dehors.

Peu à peu il a renoncé. Il sait que, s’il pouvait sortir, tout s’expliquerait, tout deviendrait clair, transparent.

Sortir ! … S’extraire enfin de cette fosse. Franchir ces portes de fer. Contempler l’horizon. Il ne se souvient plus comment c’est l’horizon.

Jamais il ne s’approche des portes. Effrayantes gueules fermées, prêtes à le phagocyter, le digérer, l’annihiler.

Dans la journée, lorsque les nuages maculent le ciel, il regarde les formes et les images qu’ils y dessinent. S’il fait gris, il crée lui-même ses propres fantasmagories. Ou bien il contemple les taches de rouille sur les grandes portes de fer. Lorsqu’il se concentre sur leurs contours, elles s’animent, se déforment en un kaléidoscope aux compositions infinies.

 

Sortir ! …

 

La nuit, il regarde la nuit et espère les étoiles…

Parfois, il apostrophe la lune…

 

Sortir ! …

 

La veille, cela devait arriver, aucun sac de toile n’est venu le ravitailler. Ni le matin ni le soir. Depuis l’aube, il attend. En vain.

 

Il n’a plus le choix.

 

Il s’est assis par terre en face de la porte du milieu. Il l’a fixée de longues heures, figé, immobile. Il s’est avancé d’un mètre puis d’un autre. Au moment précis où le soleil disparaît derrière le sommet du mur, il se lève enfin et tente d’actionner la lourde poignée de bronze. Le battant s’ouvre sans difficulté. La vie lui saute au visage. Il recule d’un bond. Il se précipite sur les deux autres portes. Il hurle.

 

Aucune n’était verrouillée.

 

Philippe GÉRARD

 

 

Tag(s) : #Nouvelles histoires courtes
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